Projet scientifique de l’équipe Intime : transition et nouvelle thématique
Etat des lieux
Depuis sa fondation, l’équipe “Intime” s’appuie sur une approche interdisciplinaire pour travailler sur les manifestations du sentiment de l’intime tant dans des écrits confidentiels ou littéraires que dans des productions artistiques. L’équipe s’intéresse en particulier à la définition labile de l’intimité selon les époques et à ses représentations dans les différentes aires culturelles du laboratoire. Ses travaux s’attachent à apporter des éclairages avec des méthodologies ciblées en fonction des supports étudiés (écrits, images fixes ou mobiles, témoignages…). En tant que spécialistes de langues, les membres de l’équipe « Intime » sont en effet amenés à examiner de façon serrée le vocabulaire et le style des documents étudiés, à comparer les choix de termes et l’évolution de la langue parlée et écrite, révélatrice des rapports intimes avec le langage, mais aussi de la conscience de soi telle qu’elle est mise en mots ou qu’elle se traduit dans d’autres médias. Cette approche de linguistes, de sémiologues, 25 philologues ou de didacticiens des langues s’enrichit grâce aux ouvertures apportées par des collègues d’autres disciplines, en particulier dans le cadre du séminaire d’équipe et de collaborations (équipe PsyDREPI sur le projet « Paroles de confiné-e-s », corps médical pour un projet « Autoguérison » dans le cadre d’Intime et Care). Notre équipe se distingue ainsi d’autres laboratoires étudiant l’expression intime, comme le CECJI (Université de Bretagne Occidentale), consacré exclusivement à l’édition et à l’étude des correspondances et des journaux intimes.
Continuité des travaux en cours
Le prochain contrat sera tout d’abord l’occasion de poursuivre et finaliser plusieurs projets porteurs méritant un approfondissement, comme le séminaire « Lieux de l’intime » (qui aboutira à une publication collective), les manifestations autour de poésie et expression intime (lectures poétiques multilingues avec captation vidéo, traduction poétique comme exploration de l’intimité lyrique par le biais de la transposition linguistique) ; la poursuite de l’enquête et l’exploitation des témoignages recueillis dans le cadre de « Paroles de confiné-e-s » ; le recueil de récits personnels de chercheurs en vue d’un ouvrage ; le troisième volet de la série de colloques « Intime et Intimité au siècle d’Or », également voué à être publié. Le socle de réflexion à l’occasion de ces multiples travaux sera toujours de faire émerger des textes ou des témoignages verbaux ou visuels, anciens ou modernes, d’auteurs connus ou d’anonymes, la plasticité de l’expérience intime, dans les différentes aires culturelles et les différentes périodes que l’équipe étudie. Ce sera tout particulièrement le cas pour le nouvel axe d’étude défini pour la suite du projet.
Nouveau projet d’équipe
La réflexion autour des travaux actuels de l’équipe a abouti à un nouvel objet d’étude qui rassemble les différents membres de l’équipe et qui permet d’unifier nos approches : la question de la sensorialité de l’intime et les multiples rapports entre Intime et Sensorialité.
Cette thématique demande une approche à la fois diachronique et multiculturelle. Depuis l’époque moderne et la montée de l’empirisme, l’intime n’est plus principalement une expérience spirituelle, mais une expérience prioritairement physique, et dans ce cadre, cela fait sens de s’interroger sur les sens et l’intime. Dans le domaine anglophone et francophone en particulier, les théories empiriste (de John Locke à John Dewey et Karl Popper) et rationaliste (Descartes et Kant) ont orienté différentes manières d’appréhender le monde et de comprendre la position de l’individu dans cette appréhension du monde, du XVIe siècle jusqu’à nos jours. Il s’agit d’un questionnement indissociable de l’étude du langage et des langues, notre domaine d’expertise : la sensorialité implique une écoute de ce que la sensibilité transmet de sensations provoquées par ce qui est extérieur à soi, autre que soi ou par sa propre corporéité. Ce qui est reçu par cette écoute peut-il faire l’objet d’une mise en commun par le langage verbal ? Quelle est cette expérience langagière qui fait sortir de la seule écoute de soi-même ? Si cette mise en commun est possible, ce langage n’existe pas en dehors des langues qui dans un certain contexte culturel explorent, chacune à sa manière mais aussi avec des points communs, comment il est possible de dire et d’écrire ce que l’on ressent. Si cette écoute ne peut faire l’objet d’une mise en commun, on touche à l’indicible, voire l’ineffable. Dans les différentes langues, le sujet qui parle ou écrit signale que les mots pour dire l’expérience sensible et intuitive ne sont qu’une approximation, une approche. L’équipe travaille sur des corpus langagiers (langage verbal), et en particulier sur la littérature, car cette dernière est un mode d’écriture privilégié à la fois pour les tentatives de mettre en mots ce qui est ressenti, et pour les interrogations quant à la possibilité même de transmettre verbalement ce ressenti.
La notion de sensorialité dans le domaine de l’intime ouvre ainsi sur la question de la subjectivité. L’équipe aura à accomplir un travail épistémologique afin de déterminer les méthodologies adaptées à l’identification, la création et la collecte de données sur le ressenti subjectif de l’intime, ainsi qu’une méthodologie pour étudier ce sujet. Elle s’attachera à voir comment intégrer les apports de la phénoménologie sociologique (Schültz) et de la psycho-phénoménologie (Vermersch). A l’inverse, l’impact de la subjectivité sur la méthodologie scientifique et intellectuelle fera aussi partie de nos recherches, avec des travaux sur l’intimité des chercheurs à mettre en regard avec les récentes études sur les méthodes biographiques en sciences sociales (Dion). Il s’agira également d’interroger le rôle de la subjectivité dans les interactions pédagogiques, notamment en didactique des langues, dans la perspective de la construction d’un sujet désirant s’approprier, incorporer une nouvelle langue (Anderson).
Axes de réflexion
Nos travaux s’orienteront autour de différents axes susceptibles de structurer l’étude de la sensorialité et de l’intime :
La poésie étant une partie centrale de notre expertise, notre attention se portera en particulier sur la dimension musicale et sensorielle de l’expérience poétique. L’événement annuel de lectures de poésies multilingues que nous organisons portera une attention particulière à cette question, notamment par le biais d’un renforcement de nos collaborations avec des organisations comme la Cimade, qui permettent de créer une manifestation véritablement multiculturelle dans laquelle non seulement les langues sont variées, mais aussi les modes de déclamation, le sens culturel accordé aux sons du poème, et le ressenti sensoriel de sa lecture à voix haute. Notre séminaire d’équipe visera à mettre en place une analyse critique de ces aspects poétiques, dans le but d’aboutir à un colloque.
L’intime et la nourriture représente un deuxième axe qui s’inscrit dans le prolongement de nos travaux actuels sur la spatialité de l’intime et pourra s’appuyer sur des ressources et une culture locale de la gastronomie et des arts de la table, bourguignonne et dijonnaise en particulier, que nous souhaitons faire entrer en dialogue avec les cultures et littératures des différentes aires culturelles dont nous sommes expertes. Par exemple, la langue chinoise, et en particulier l’expression proverbiale, cherche à dire l’expérience paradoxale du repas comme rituel digne et trivialité, maitrise de soi et relâchement, ordre et chaos, plaisir tourné vers son propre corps et plaisir du partage. Plusieurs possibilités de collaborations locales se sont ouvertes autour de cette thématique, qu’il s’agisse du Lab dédié de l’Alliance FORTHEM (Food Science), de l’ouverture en 2022 de la Cité Internationale de la Gastronomie à Dijon, ou du développement du Centre des Sciences du Goût et de l’Alimentation (CSGA) sur le campus dijonnais. Si nos moyens d’encadrement s’améliorent, nous envisageons notamment de solliciter le financement d’une thèse sur le sujet, qui pourra passer par des modes classiques tels que le contrat doctoral, ou bien par des dispositifs comme la thèse CIFRE qui se prêterait particulièrement bien à la question de l’intime et de la nourriture, éventuellement par un biais marketing auprès d’un industriel du domaine.
Nos travaux sur la pédagogie s’inscriront également dans l’objet d’étude de la sensorialité, aussi bien en connexion avec la poésie et sa musicalité, cette fois comme outil d’apprentissage, que par des questionnements sur la corporalité ou au contraire la désincarnation de l’expérience apprenante et le vécu intime de l’apprenant.
Enfin, nous nous interrogerons sur la place de la sensorialité et de l’intime dans la réalité virtuelle et le jeu vidéo en particulier. Nous réfléchissons notamment à lancer une étude des rapports intimes que les joueuses et joueurs entretiennent avec leur avatar personnalisé dans les MMORPG (massively multiplayer online role-playing games), afin de mesurer à quel point ce dernier fonctionne comme une projection idéalisée de leur perception d’elles-mêmes ; cette étude fera l’objet de demandes de financement régional et/ou national.
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Mots-Clés : intimité, intériorité, privé, lieux intimes ; intériorisation, spiritualité, mysticisme, psychisme, rêve ; sensorialité, relations intimes, corps, sexualité, lien conjugal, cercle familial, amitiés ; langue maternelle, rapports à la langue, histoire et récits de l’intime ; poésie, correspondances, journaux, biographies, autobiographies, parcours de vies.
Laure-Hélène Anthony-Gerroldt (A), Alain Bègue, Lucie Bernard, Marie-Odile Bernez (responsable), Hervé Bismuth, Isabelle Brasme, Christine Collière, Sylvie Crinquand (E), Sophie Doulut (doctorante), Nathalie Galland, Estelle Garbay-Velazquez, Claire Guéron, Cécile Iglesias (responsable), Gauthier Labarthe, Laphin Mimi (Doctorant), Agnès Pernet-Liu (A), Angélique Pestaña (A), Ambra Zorat (A).