Comment une lettre, d’ordinaire conçue pour assurer la communication entre deux interlocuteurs malgré la distance physique qui les sépare, trouve-t-elle les mots pour mettre un terme à cette communication ? Le volume réunit des articles traitant de lettres fictives, insérées dans des romans ou des créations littéraires, où la dernière lettre est utilisée comme outil naratologique ou stylistique, ainsi que des articles consacrés à de vraies lettres, lettres de rupture ou lettres écrites avant la mort par des personnes exécutées le lendemain ou sur le point de se suicider.
Ce recueil d’articles aurait également pu s’intituler « Le fantasme de la clôture parfaite ». En effet, si l’on pense à une dernière lettre, on imagine d’emblée un écrit laissé à la postérité avant la mort, un testament, un texte composé en conscience pour saluer par des mots la fin d’une vie, l’accomplissement d’un cycle. Certes, il est d’autres formes de dernières lettres, lettres de rupture qui mettent de façon prématurée terme à une amitié, à une liaison amoureuse, textes de fiction qui peuvent se lire comme un message d’adieu – l’on pense ainsi au De Profundis de Wilde. Mais une dernière lettre, si l’on s’en tient au sens littéral, se doit néanmoins de signaler la fin d’un échange : à l’épistolier de trouver les formules qui sauront clore par un point final définitif, sans ambiguïté, puisque le destinataire se voit ainsi signifier la fin de la correspondance. C’est donc en partie pour avoir le dernier mot que l’on rédige une dernière lettre, afin de laisser derrière soi une parole qui survivra, elle, et dont on espère peut-être secrètement qu’elle dira tout ce que l’on n’a pas pu/su exprimer auparavant. Cette finalité propre à l’ultime message vient d’ailleurs souvent colorer des lettres qui, sans annoncer la fin d’une vie, marquent la rupture d’une relation amicale ou amoureuse. Plus encore, elle influence la manière dont s’effectue la réception des dernières lettres. Le lecteur s’attend en effet à trouver trace de la clôture, et, nous le verrons, cette attente est souvent déçue car de nombreuses dernières lettres s’ignorent.
Or, les théoriciens de l’épistolaire l’ont souligné, une lettre s’écrit pour communiquer, pour conforter le lien qui unit deux épistoliers en se substituant à une conversation in praesentia.[1] En terrain épistolaire, l’on s’efforce avant tout de faire fonctionner l’échange malgré l’absence, et la lettre s’ingénie à créer des effets stylistiques destinés à imiter la conversation, afin que le substitut s’approche autant que possible de l’original. Contrairement au journal intime, l’écriture épistolaire implique en effet un co-énonciateur réel, [2] susceptible à son tour de prendre la plume pour répondre, et, pour les lettres qui nous concernent, de réduire ainsi à néant la tentative de clôture : que se passe-t-il si le destinataire feint d’ignorer l’annonce de la fin et choisit de répondre à une dernière lettre comme s’il s’agissait d’une missive ordinaire ? [3]
La dernière lettre peut également apparaître comme un fantasme car elle permet à l’enfant de claquer la porte en fin de dispute, sans se soucier des conséquences, en l’occurrence sans imaginer ce qu’il adviendra lorsque la lettre atteindra son destinataire, le décalage temporel entre temps de l’écriture et temps de la lecture prenant ici toute sa signification. Fantasme aussi car, hormis quelques cas rares, évoqués dans ce volume par les derniers articles, nul ne peut encore prédire exactement le moment de sa mort, ni, par conséquent, composer un texte adressé qui s’affirme dernier en toute légitimité. Se profile alors le risque de laisser la conclusion traîner en longueur, agoniser et perdre ainsi la dimension aboutie de la fin ; à crier au loup trop tôt, l’on risque de ne pas être pris au sérieux. Rares sont les écrivains qui, telle Emily Dickinson, ont ponctué leur sortie d’un lapidaire mais très efficace « Rappelée »[4]. Parmi ces cas rares, figurent évidemment les suicides mais aussi les condamnations à mort, qui donnent lieu à la rédaction d’une dernière lettre, la société reconnaissant ainsi à celui qu’elle va exécuter le droit de s’exprimer une dernière fois par une parole écrite, droit aussi essentiel que la dernière cigarette ou le dernier repas. La problématique, on le verra au fil de ces articles, se modifie alors quelque peu : le jeu fantasmatique s’efface derrière la douleur d’une fin réelle, d’une mort annoncée.
Or, l’entreprise qui consiste à analyser des dernières lettres se complique singulièrement du fait que ces missives sont parfois difficiles à repérer. Plus aisées pour le critique que pour l’épistolier lui-même, certes, pour les raisons évoquées ci-dessus. L’on peut toutefois, comme le suggère Pierre Bayard dans Demain est écrit[5], tenter de lire dans le texte l’intuition d’une mort à venir, d’une brouille fatale, mais certains des articles de ce recueil montrent que la sensation de clôture demeure parfois insaisissable, très éloignée d’une conclusion littéraire bien composée. Le critique, quant à lui, peut se contenter de repérer le dernier texte inclus dans une correspondance, affiché comme ultime par le travail d’édition. Même alors, les risques subsistent : la correspondance peut être incomplète, certains messages peuvent avoir été perdus ou détruits.
Et que dire de toutes ces lettres, brièvement évoquées ci-dessus, par lesquelles un épistolier souhaite rompre une relation, casser le fil épistolaire? D’une certaine manière, la lettre de rupture est peut-être la seule forme épistolaire à ne pas fonctionner uniquement comme substitut de l’échange réel, puisqu’elle est envoyée pour mettre un terme à cet échange, pour signaler la fin de la communication. La lettre ne vient alors pas combler l’absence, mais l’instituer, et choisir une lettre pour annoncer une rupture permet à un épistolier d’éviter le face à face en chair et en os, en partie pour mieux contrôler ses paroles, et sans doute également pour ne pas devoir confronter en personne les réactions du destinataire. L’écriture joue le rôle d’un filtre recherché précisément pour la distance qu’il instaure.
Sans aller jusqu’à la typologie raisonnée, ce recueil propose néanmoins un éventail de dernières lettres, des plus construites par l’art des romanciers, jusqu’aux moins définitives, précisément parce qu’elles s’ignorent et que la relation se termine dans le flou, et aux plus émouvantes, parce qu’elles se savent ultimes avant le peloton d’exécution, qu’il n’est plus temps de faire des phrases, mais devenu essentiel de trouver le mot juste. L’article de Guy Krivopissko, qui clôt ce volume, est là pour nous rappeler la parution récente de plusieurs volumes de lettres de soldats, écrites pendant les deux guerres mondiales.[6] Un soldat qui écrit une lettre depuis le front sait que cette lettre sera peut-être la dernière, que l’offensive annoncée pour le lendemain peut lui coûter la vie, et cette conscience colore les lettres de guerre, où le moindre détail insignifiant se charge souvent du poids de l’Histoire. Mais les lettres de poilus révèlent également la foi en la vie, le souci de rassurer les proches restés dans les campagnes, la volonté de penser à l’autre, même en ces conditions extrêmes. Les lettres réunies par Guy Krivopissko ont cela de particulier que leurs auteurs disposaient généralement d’une seule nuit pour laisser un dernier message à leur famille, puisqu’ils venaient d’apprendre qu’ils seraient fusillés le lendemain matin. L’ultime lettre, bien que rédigée dans l’urgence, n’en contient pas moins une part de sacré, comme le dit très justement François Marcot dans l’introduction au volume, après avoir soulevé la question de la légitimité de notre lecture de textes aussi profondément intimes : « De quel droit pouvons-nous lire, publier ou commenter ces ultimes messages de condamnés, quand ils sont destinés aux parents, aux époux, aux proches qu’ils aimaient ? Du droit et du devoir de fraternité humaine : ces dernières lettres s’adressent à nous parce qu’elles disent la vie de ces hommes et de ces femmes, ce qui compte alors face à la mort, paroles d’hommes sur la vie de l’homme. Ces lettres s’adressent à nous, aussi, parce que les condamnés ont explicitement voulu que le sens de leur engagement, de leur vie, de leur mort nous soit connu. »[7] Ces lettres particulières, qui répondent parfaitement à la définition attendue de la dernière lettre, celle que l’on écrit avant de mourir, donnent en effet à réfléchir sur les rapports qui unissent l’écriture épistolaire et la vie. Mais loin de refléter la sensation d’un cycle accompli, elles insistent souvent sur la brutalité de l’événement qui aura lieu le lendemain ; la mort est certes annoncée, mais survient prématurément, chez des êtres souvent jeunes, qui expriment le sentiment de voir leur vie interrompue avant terme.
Mais le terme « dernière » peut en outre s’interpréter de deux façons : certaines lettres viennent clore un échange appelé à se terminer parce que les deux correspondants vont se revoir. Dans ce cas la dernière lettre clôt l’ensemble de lettres nommé correspondance, sans interrompre la relation entre les deux personnes, qui se poursuivra selon d’autres modalités. La dimension référentielle de la correspondance prend alors toute sa valeur. D’autres encore terminent une relation, on l’a vu, ou une existence humaine, et dans ce cas c’est à la correspondance qu’est donné le dernier mot.
Enfin, citons les « vraies fausses dernières lettres », celles qui s’annoncent comme des lettres de rupture, mais sont démenties par d’autres lettres ultérieures, qui reprennent la conversation, parfois en faisant mine d’oublier ce qui s’est passé, parfois en modifiant le ton et la nature de l’échange. Coleridge envoie ainsi une longue lettre de rupture à son ami Southey, qu’il définit lui-même comme dernière lettre, avant de reprendre une correspondance, beaucoup plus distante, avec lui[8]. La dernière lettre a marqué la fin d’une phase de leur amitié, mais elle n’est pas finale, puisque sa valeur performative – mettre un terme à une relation d’amitié – a été annulée par la reprise de l’échange.
Afin de faciliter la lecture, ce recueil se divise en deux parties : pour commencer les articles sont consacrés à des dernières lettres fictives, afin de travailler tout d’abord sur la représentation qui est faite de la dernière lettre dans la littérature, depuis l’Antiquité. C’est ainsi que les trois premiers articles sont consacrés à Ovide, et analysent comment ce poète joue de l’écriture épistolaire dans les Héroïdes. Sylvie Laigneau propose pour commencer une lecture du recueil dans son ensemble, et montre que la dernière lettre y est utilisée parce qu’elle permet au poète de prêter sa voix à des femmes, héroïnes de la mythologie, et de critiquer ainsi la morale masculine romaine. La dernière lettre est alors composée comme celle où les comptes se règlent, entre ces femmes souvent délaissées et leur amant, entre Ovide et ses contemporains aussi. Dans un deuxième temps Elisabeth Gavoille s’attache à l’une des Héroïdes, celle qui donne la parole à Sappho, pour en démonter plus précisément les ressorts et donner ainsi un exemple de la création par un poète d’une lettre fictive destinée à jouer les testaments. Enfin Déborah Roussel consacre son article à la « vraie fausse » dernière lettre d’Ovide, Tristes III, 3, texte élégiaque dans lequel le poète se joue encore des conventions et montre sa maîtrise du genre. C’est donc ici la situation énonciative liée à la dernière lettre, ainsi que les caractéristiques stylistiques du genre, qui sont mises à profit par l’écrivain, détournées pour servir son message.
Deux articles se consacrent ensuite à des romans du XIXème siècle : à cette époque la correspondance privée tenait encore une place suffisamment significative parmi les écrits littéraires pour que la lettre soit utilisée pour créer un effet de réel dans un roman. Ainsi Claude Imberty montre-t-il comment dans Histoire d’une fauvette, de Giovanni Verga, où les lettres monologues de l’héroïne se rapprochent du journal intime, la dernière lettre, plus que toutes les autres encore, est écrite pour caractériser le personnage. L’héroïne se trahit par son écriture, manifeste malgré elle des désirs que la société lui interdit : l’efficacité du roman tient en grande partie à l’écriture épistolaire. Quelques années plus tard, Arthur Schnitzler écrit à dix-sept ans d’intervalle deux textes comprenant les mots « Dernière lettre » dans leur titre, et Bénédicte Abraham analyse la manière dont ces textes permettent l’écriture de la folie, paranoïa ou toute puissance, avant de s’interroger sur la signification autobiographique qu’on peut leur prêter. Cette association entre le littéraire et l’écriture de soi se retrouve dans l’article que consacre Odile Richard-Pauchet au beau texte de Marcelle Sauvageot, Laissez-moi. Elle propose en effet de lire cette lettre jamais envoyée à travers le filtre des Lettres portugaises de Guilleragues, et les parallèles ainsi établis permettent de comprendre comment cette dernière lettre peut faire figure de premier roman, grâce au travail de l’écriture précisément.
Les autres articles de cette première partie se fondent essentiellement sur des romans du XXème siècle, dans lesquels la lettre est toujours utilisée par l’écrivain comme outil susceptible de créer un effet de réel, et de dénouer ainsi une intrigue, mais aussi, dans la littérature post-moderne, comme un artifice permettant de faire réfléchir le lecteur sur les enjeux liés à l’écriture. Ainsi Laurence Garino-Abel montre-t-elle comment la romancière espagnole Carmen Martin Gaite inclut des dernières lettres dans deux de ses romans pour induire paradoxalement une dynamique d’ouverture ; cet article propose des pistes de théorisation sur le rôle particulier d’une dernière lettre dans un roman, comme manifestation de rupture ou comme testament. Dorita Nouhaud s’attache quant à elle à dénouer les fils d’une intrigue épistolaire dans un roman de José Carlos Somoza, roman qui se termine par une parodie de suicide, la dernière lettre se substituant à l’acte fatal. Jeux encore chez A. S. Byatt, dans la mesure où Possession, comme le roman de Somoza, utilise les codes du roman policier : la lettre y est indice, et à un autre degré, la découverte d’une correspondance joue un rôle déclencheur dans l’intrigue. Comme Laurence Garino-Abel, Emilie Walezak lit la dernière lettre comme celle qui ouvre le récit, comme première lettre donc.
Dans un deuxième temps, ce sont des lettres non fictionnelles, d’écrivains ou d’artistes, mais aussi, à la fin du volume, d’épistoliers « ordinaires », qui sont prises en compte. L’on mesure alors l’angoisse de mettre un point final pour ces épistoliers, dont certains évitent de regarder la fin en face, ou qui préfèrent parfois conclure avant ou après la dernière lettre. La dernière lettre, qui dans la première partie de cet ouvrage avait pu sembler comme le signe incontestable de la fin, se transforme en matériau malléable, dont les contours sont parfois difficiles à définir.
Cette seconde partie s’ouvre par l’article d’Isabelle Mons, qui propose une lecture de trois formes de dernières lettres, toutes trois associées à la correspondance de Rodin : deux lettres de rupture adressées au sculpteur, ainsi que le testament qu’il adresse aux jeunes artistes en 1911. Une lecture croisée de ces trois textes permet ainsi d’éclairer la figure du sculpteur, dans sa conception de l’art, et de faire ressortir la dimension emblématique de la dernière lettre. La rupture réapparaît dans l’article que consacre Sylvie Marchenoir à la démarche en trois temps par laquelle la poétesse allemande Annette von Droste-Hülshoff prend congé de Levin Schucking : la difficulté de l’entreprise transparaît alors à travers le temps que met la poétesse à renoncer à l’amour qu’elle éprouve pour le jeune homme, les deux premières « dernières lettres » préparant la troisième.
Toujours dans le domaine allemand, Jean-Luc Gerrer revient ensuite sur la particularité de dernières lettres qui disent la fin « en creux », sans théâtralité, précisément, qui, dans le cas de la correspondance entre Rahel Varnhagen et Pauline Wiesel, se contentent de perdurer malgré la fin de l’amitié. Point d’enjeu littéraire ici, mais des lettres proches de la vie, au sens où les Anglo-saxons l’entendent lorsqu’ils qualifient l’écriture intime d’écriture de la vie (life writing). La conclusion est toujours aussi lente, aussi difficile à atteindre – et à définir ! – dans les correspondances évoquées ensuite : le titre de l’article de Marie-Claire Méry, « Une amitié inachevée », souligne que si Rilke envoie à son ami une dernière lettre en forme d’adieu, Kassner, quant à lui, réussit difficilement l’exercice de clôture, et que le sentiment d’inaccompli qui en découle le conduira à poursuivre « une conversation spirituelle » avec son ami longtemps après sa mort. Le même sentiment d’achèvement problématique prédomine dans les lettres échangées par Andréièv et Gorki après la rupture qui mit un terme à leur amitié. Serge Rolet commente les difficultés que l’on peut rencontrer pour isoler une dernière lettre, pour repérer une fin avant la fin, en quelque sorte, puisque la correspondance entre les deux hommes se poursuivit malgré la rupture.
Les trois articles suivants sont consacrés à des écrivains sur le point de mourir, Keats de la tuberculose, Woolf et Régnier par suicide. Oriane Monthéard analyse tout d’abord la manière dont le poète, se sachant condamné, prend congé de ses proches, en adaptant le mode d’adieu à son destinataire, dans une démarche parfois paradoxale qui trahit la difficulté de l’entreprise. Floriane Reviron revient quant à elle sur les lettres laissées par Woolf juste avant son suicide, en insistant sur les circonstances qui l’entourent, et en s’interrogeant sur la théâtralité de ces dernières lettres. Bruno Curatolo analyse enfin les lettres laissées par Paule Régnier avant de se suicider à la lumière de sa vie et de son œuvre, la dernière lettre représentant ici à tous les sens du terme un aboutissement, à défaut d’être un accomplissement.
Plus spectaculaires, mais tout aussi problématiques, les deux lettres qu’adressa Borgese à Mussolini, lettres restées sans réponse, montrent comment la dernière lettre permet à Borgese de reprendre l’avantage après ne pas avoir obtenu de réponse à sa première lettre au dictateur. Nicolas Bonnet consacre cet article à la portée politique d’une dernière lettre, dans la mesure où ces deux lettres furent publiées peu après leur envoi.
Enfin, les deux derniers articles ont trait à des lettres de guerre, avec d’une part les soldats de l’an II, toujours susceptibles de se faire tuer après avoir envoyé leur missive, et d’autre part des hommes certains de mourir le lendemain parce qu’ils seront fusillés. Geneviève Haroche-Bouzinac rappelle dans son article la problématique des lettres de ces soldats, qu’elle considère comme des exemples d’«écriture ordinaire », pour reprendre la formule de Daniel Fabre ; elle y analyse la manière dont la douleur et la souffrance liées aux conditions de vie des soldats et à la peur de l’avenir trouvent à se dire malgré le manque d’éducation. Enfin, Guy Krivopissko expose la manière dont il a travaillé pour publier un volume de lettres de fusillés, depuis le premier contact avec les archives jusqu’à l’édition proprement dite, en évoquant ses rapports avec ces textes. La démarche qu’il met en avant rappelle pour conclure que par ses liens avec la vie et le réel, une lettre, à plus forte raison la dernière, ne peut être lue uniquement comme un texte littéraire, et demande les regards croisés d’approches interdisciplinaires.
Sylvie Crinquand, université de Bourgogne
[1] Voir à ce propos Brigitte Diaz, L’Epistolaire ou la pensée nomade. PUF (Paris, 2002); Geneviève Haroche-Bouzinac, L’Epistolaire. Hachette Supérieur (Paris, 1995). Dès ses origines, la lettre est conversation à distance. Vincent Kaufmann, dans L’Equivoque épistolaire, a démonté les mécanismes du jeu institué par certains écrivains avec les conditions de l’échange épistolaire. Editions de Minuit (Paris, 1990). La Revue des Sciences Humaines a consacré en 1984 un numéro (n° 195) aux Lettres d’écrivains. Enfin, l’on consultera avec profit les numéros thématiques de la Revue de l’AIRE (Champion, Paris), spécialisée dans les recherches sur l’épistolaire.
[2] Même si ce co-énonciateur se trouve modifié par le travail de l’écriture pour devenir représentation au cœur même de la lettre. Voir à ce sujet Sylvie Crinquand, ed. De Vous à moi. Le destinataire dans les écrits intimes. EUD (Dijon, 2001).
[3] C’est en envisageant des réactions à un mail de rupture que la photographe Sophie Calle a conçu l’exposition qu’elle a présentée dans le pavillon français de la 52ème exposition internationale d’art contemporain de Venise, à l’été 2007. « J’ai reçu un mail de rupture. Je n’ai pas su répondre.
C’était comme s’il ne m’était pas destiné. Il se terminait par les mots : “Prenez soin de vous”.
J’ai pris cette recommandation au pied de la lettre.
J’ai demandé à 107 femmes, choisies pour leur métier, d’interpréter la lettre sous un angle professionnel.
L’analyser, la commenter, la jouer, la danser, la chanter. La disséquer. L’épuiser. Comprendre pour moi.
Répondre à ma place.
Une façon de prendre le temps de rompre. À mon rythme.
Prendre soin de moi. »
Sophie Calle. http://www.culturesfrance.com/evenement/ev297.html. Consulté le 19 décembre 2007.
[4] Le dernier billet que la poétesse américaine a composé avant sa mort est en effet d’une concision exemplaire : « Little Cousins, Called Back, Emily » (« Petites cousines, Rappelée, Emily »). Thomas H. Johnson et Theodora Ward, eds. The Letters of Emily Dickinson. 3 vols. The Belknap Press of Harvard UP (Cambridge, Mass. : 1958), Lettre 1046, mai 1886.
[5] Les Editions de Minuit (Paris, 2005).
[6] En ce qui concerne la première guerre mondiale, citons en particulier Paroles de poilus : Lettres et carnets du front 1914 – 1918. Eds. Jean-Pierre Guéno, Yves Laplume, coll. « Librio », J’ai lu (Paris, 2003), et pour la seconde guerre mondiale, les lettres rassemblées par Guy Krivopissko. La Vie à en mourir. Lettres de fusillés 1941 – 1944, Taillandier, (Paris, 2003).
[7] François Marcot. « Voix d’outre-tombe », in La Vie à en mourir. Lettres de fusillés 1941 – 1944, 9.
[8] Voir à ce sujet mon article, « ‘Farewell’ : Coleridge’s Quarrel with Southey », dans Last Letters, ed. Sylvie Crinquand, Cambridge, (Cambridge Scholars Press, 2008).
Préface de Sylvie CRINQUAND
I La rhétorique du point final
Sylvie LAIGNEAU : Les Héroïdes d’Ovide et la remise en cause des valeurs romaines
Elisabeth GAVOILLE : La dernière lettre de Sappho ou L’art exténué (Ovide, Héroïde XV)
Déborah ROUSSEL : Tristes III, 3 : l’ultime « salut » d’Ovide
Claude IMBERTY : La dernière lettre de Maria ou le discours suspendu (Histoire d’une fauvette de Giovanni Verga)
Bénédicte ABRAHAM : La dernière lettre d’Andreas Thamayer et La dernière lettre d’un homme de lettres : Un exemple d’articulation intime entre médecine et littérature chez Arthur Schnitzler (1862 – 1931)
Odile RICHARD-PAUCHET: Marcelle Sauvageot, une « Portugaise » du XXe siècle ?
Laurence GARINO-ABEL : La dernière lettre dans deux fictions de la romancière espagnole Carmen Martín Gaite ou la littérature intime au défi
Dorita NOUHAUD : Toutes nous blessent, la dernière tuera-t-elle ? : Dernière lettre à mon assassin
Emilie WALESAK: Les dernières lettres ou le début d’une histoire dans le roman d’A. S. Byatt Possession
II Chroniques d’une fin annoncée
Isabelle MONS : De l’aveu au testament : Rodin épistolier
Sylvie MARCHENOIR : Les adieux d’Annette von Droste-Hülshoff à Levin Schücking ou les renoncements déchirants d’une poétesse à l’art et à la vie
Jean-Luc GERRER : Les dernières lettres de Rahel Varnhagen et de Pauline Wiesel
Marie-Claire MERY : Une amitié inachevée. Dernières lettres entre Rainer Maria Rilke et Rudolf Kassner
Serge ROLET : Les dernières lettres de la correspondance de Maxime Gorki et de Léonide Andréïev
Oriane MONTHEARD : Correspondance moribonde et adieux en suspens : les dernières lettres de Keats
Floriane REVIRON : Les dernières lettres de VirginiaWoolf : hantise et obsession de la fin
Bruno CURATOLO : Les ultima verba de Paule Régnier
Nicolas BONNET : La dernière lettre de G. A. Borgese à Mussolini
Geneviève HAROCHE-BOUZINAC : Lettres des soldats de l’An II
Guy KRIVOPISSKO : Dernière(s) lettre(s)